Courant juin, je suis partie m’aérer l’esprit en Amérique du Nord. En dehors des paysages incroyables, mes rencontres ne m’ont pas laissé indifférente…
C’était un soir chaud en plein coeur de Montréal. On m’avait donné rendez-vous dans un espace vert situé entre 4 rues. Après quelques galères pour trouver le lieu dit, je me suis retrouvée dans un barbecue avec plein de canadiens et d’expatriés. On fait connaissance, on papote, on parle de Strasbourg bien sûr, et puis je parle des Grandes Girls et de la puissance que prend le féminisme.
Pour ceux qui ne le savent pas, j’ai rejoint l’émission radio Les Grandes Girls en janvier. On parle de bons plans, d’actualité, de food, de sorties, mais aussi des femmes dans la société et du girl power. On enregistre le jeudi ou le vendredi, l’émission passe en live le dimanche matin et on retrouve tous les podcasts par > ici <
C’est là qu’on me dit : mais attends, je te présente Lulu, tu dois absolument parler avec elle !
Lulu, je l’ai repérée dès son arrivée. Grande brune, bronzée, jambes toutes fines, crinière de lionne, voie rauque et remarquable, l’amie des garçons, libérée, vêtue d’une jupe et d’un bomber Chanel. Typiquement le genre de nana qui te met mal à l’aise tellement elle est bien dans ses baskets. Typiquement le genre de nana que j’évite parce que je ne pense pas être assez intéressante pour elle.
Puis il se trouve que c’est particulièrement avec elle qu’il faut que je parle parce qu’elle oeuvre pour la place des femmes à Montréal.
On fait connaissance et là elle m’explique qu’elle termine ses études et qu’elle a mené un projet autour du harcèlement de rue envers les femmes. Et sa banalisation. Elle m’explique qu’elle a fait des enregistrements, qu’elle a rencontré des victimes, et puis elle termine en me disant qu’elle a rédigé un mémoire d’une centaine de pages. Alors je lui propose qu’on se revoit et qu’on en reparle, au calme, avec mon enregistrement.
> si tu as la flemme de lire, voici l’enregistrement, à lancer à la 16ème minute
- Emmy : Je vais laisser Lucie, féministe montréalaise, nous parler de son « oeuvre »…
- Lucie : J’ai fait un projet sur la place des femmes dans l’espace public à Montréal dans le cadre ma maîtrise. Il s’agit d’une oeuvre sonore immersive où on a l’impression d’être dans le corps d’une femme de jour, comme de nuit. Mon but était de déclencher une prise de conscience sur le harcèlement de rue qu’on peut vivre ici, en tant que femme.
- Emmy : Tes études sont dans l’art numérique en général. Pourquoi est-ce que tu as pris le parti de le traiter autour des femmes ?
- Lucie : La place des femmes dans l’espace public est un sujet qui m’obsède depuis toujours. Déjà à l’âge de la puberté j’ai remarqué que les garçons se retournaient sur mon passage, je ne comprenais pas pourquoi moi on m’embêtait mais pas mes grands frères.
Au début je savais que je voulais faire une oeuvre féministe mais je ne savais pas comment l’orienter. J’ai quand même choisi de parler de mon obsession autour du harcèlement de rue. J’ai préféré faire une oeuvre sonore et pas visuelle car le harcèlement de rue n’a pas de « visage », je n’avais pas non plus envie de catégoriser et mettre des gens dans des boites. De cette manière chacun peut se faire son image personnelle. - Emmy : A travers ce projet tu as fait appel à des actrices mais tu as aussi rencontré des victimes. Est-ce que tu as la sensation que via ce travail tu as réussi à créer le déclic sur le fait que le harcèlement ne doit pas être banalisé ?
- Lucie : Oui ! Au début c’était davantage centré sur moi, je parlais de mon expérience de harcèlement de rue. Puis j’ai trouvé difficile de créer cette oeuvre sans inclure d’autres femmes.
Pour les contacter j’ai mis en ligne un formulaire qui cherchait à savoir si elles avaient déjà vécu du harcèlement de rue à Montréal, et si oui, quelle était leur histoire, quelles émotions est-ce qu’elles ont ressenti. C’était important d’avoir leurs voix aussi. J’ai ensuite repris ces formulaires et ai enregistré avec des actrices. Et c’est vrai que je ne m’attendais pas à sensibiliser les actrices.
Après chaque enregistrement, je les interviewais à leur tour sur le harcèlement de rue, je leur expliquais ma définition – car elle varie d’une personne à l’autre – et elles avaient une vraie prise de conscience. Par la suite, certaines m’ont même recontacté pour me parler de ce qui avait pu leur arriver.
D’ailleurs j’ai également sensibilisé les acteurs qui jouaient le rôle des harceleurs… Ils m’expliquaient qu’ils ne se rendaient pas compte que c’était quelque chose de « pas normal ». - Emmy : Pourquoi dit-on la place DES femmes ?
- Lucie : Parce qu’il n’y a pas qu’une seule femme ! Chacune vit une expérience différente des autres ! Je disais aussi LA femme au début mais je me suis corrigée par la suite.
- Emmy : Toi qui a vécu dans beaucoup d’endroits dans le monde, peux-tu me dire comment est-ce que tu vois la place des femmes ici à Montréal ?
- Lucie : On va plus facilement dire qu’on est féminisite ici, le terme est plus démocratisé. J’ai beaucoup d’amis fille comme garçon qui sont féministes. On le dit, ça ne choque personne, contrairement à la France où ça peut choquer.
Quand j’ai passé 5 mois à Saint Martin et que je clamais que j’étais féministe, ça « faisait peur » aux gens ! Je trouvais vraiment ça bizarre…
Je ne peux pas non plus parler au nom de Montréal car c’est immense. Je suis dans un milieu universitaire avec une petite population de la ville. Mais je pense qu’il y a une meilleure acceptation du féminisme et la place des femmes parait meilleure qu’en France.
L’oeuvre de Lucie s’appelle DANS LE CORPS D’UNE AUTRE et voici l’enregistrement en question :
Elle avait installé une cabine en plein coeur de la ville pour que tout le monde puisse écouter son oeuvre. Que tout le monde prenne conscience que le harcèlement de rue n’est pas banal.
Je ne sais pas vous, mais moi cet enregistrement me glace le sang. On ne se rend pas compte du nombre de femmes qui subissent ça au quotidien et surtout de la banalisation du fait. Demandez à toutes vos amies combien de fois ça leur est arrivé. Expliquez leur que ce n’est pas normal et qu’il faut lutter contre cela…
Lucie m’a fait prendre conscience que cette situation que l’on vit quotidiennement doit faire partie des premiers changements chez les hommes. Elle doit changer, elle doit disparaitre. On ne doit rien banaliser.
Bravo à cette jeune demoiselle pour le boulot qu’elle a fait ! Qu’on en fasse plein des « comme elle » !